Rue du Musée

Laura Spica/ mars 16, 2020/ Patrimoine, projets

La Rue du musée // Musée de la rue est une proposition patrimoniale qui constitue à la fois un outil et un support permettant de relever ensemble deux enjeux de mémoire : d’un côté, un traumatisme partagé par les habitant·e·s du quartier et de l’autre, une écriture populaire de l’Histoire.

Le travail de Noailles Debout vise ainsi à inscrire le 5 novembre dans l’Histoire et la mémoire officielle de la ville. Il sera représenté au Musée Grobet-Labadié du 28 août au 29 novembre, par la présence de chaînes dans une des vitrines du musée pendant toute la durée de la biennale. Les chaînes ont été collectées et amenées au Musée d’Histoire de Marseille par les habitant.e.s de Noailles lors des journées du patrimoines 2019 dans le cadre du projet La Rue du musée.

Le traumatisme des habitant.es de Noailles lié aux effondrements et au logement indigne reste impensé dans sa dimension collective. Il est important d’en inscrire les mémoires et récits individuels dans une narration cohérente et commune pour lutter contre un stress post-traumatique encore prégnant. Le recueil et la mise en collection de ces récits individuels est une manière expérimentale de retisser collectivement nos mémoires déchirées par le même vécu traumatique et d’en déposer les fragments douloureux dans un pot commun.

Le fonds de ce Musée de la rue est ainsi composé des traces invisibles mais bien réelles laissées par l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne dans la mémoire et le quotidien des habitant.es du quartier. Ce fonds constitue un patrimoine sensible et politique à inscrire dans le patrimoine historique de la ville de Marseille via son Musée d’Histoire municipal.

Un travail de création pluridisciplinaire est nécessaire afin de mobiliser des compétences professionnelles d’historien.ne.s, de psychologues, de sociologues et d’artistes auprès des habitant.es.

Le point de départ de ce processus a démarré le 21 septembre 2019, pour la 36ème Journée Européenne du Patrimoine. À Noailles, nous n’avons pas de Musée mais nous avons la Rue du Musée. C’est donc dans la rue du musée que des habitants ont exposé le début d’une collection de mémoires et d’objets recueillis dans le quartier. Ces fragments disent ce qui est et a été important, marquant ou décisif pour nous cette année en particulier, ces rêves endormis ou éveillés qui parlent de nos traumatismes conscients ou inconscients, ces liens qui nous unissent à l’effondrement, à la mobilisation, à nos voisins, à notre quartier, à la beauté ou la tristesse de nos expériences solo ou partagées, à ce qui a changé dans nos façons de vivre, d’habiter.

Chacun des visiteurs a désigné la mémoire de l’objet qu’il souhaitait inscrire dans celle de la ville. L’objet élu a été présenté officiellement aux voisins des Labourdettes et porté par un cortège solennel à travers le Jardin des Vestiges jusqu’au Musée d’Histoire municipal. Dans le cadre des Journées du patrimoine, il a été remis en cadeau au directeur et aux conservateurs du musée qui l’ont reçu avec sympathie et intérêt.

Parmi les 25 objets, ce sont donc « Les Chaînes », cadenassées et scellées aux murs et portes des immeubles en péril, qui ont remporté les suffrages avec 9 votes sur 35. 

Quand les habitants réintègrent leurs logements, les cadenas sont enlevés mais pas ces chaines qui dérangent autant qu’elles fascinent. Elles évoquent le péril et le délogement et notre union scellée dans ce ciment. Tous les objets présentés ce samedi 21 à midi sous la pluie sont comme les pièces d’un puzzle à assembler, la somme des petites histoires qui fait la grande. C’est donc bout à bout que nous avons disposé nos bouts d’âme(s) debout et avons reconnu ensemble que c’était là notre histoire et notre patrimoine à nous. 

Le Musée n’est pas très loin de notre quartier mais la distance n’est pas seulement géographique, elle est beaucoup plus symbolique que ça. C’est pas évident de passer les portes d’un Musée. Paradoxalement et poétiquement, ce sont des chaines qui ferment les immeubles de notre quartier qui nous ont permis d’ouvrir les portes du Musée. Vendredi encore, elles étaient soudées et rivetées à la porte d’un immeuble à Noailles et samedi soir, elles ont dormi au Musée d’Histoire. 

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